Yom Kippour – jeudi 16 septembre 2021 – GIL
« Comment des années si courtes se fabriquent-elles avec des journées si longues ? » disait Vladimir Jankélévitch
Nous tenons le bon bout de ceIe journée difficile, mais essentielle et si symbolique dans notre tradition. Nous avons tous notre propre idée du pardon, notre propre relation à celui-ci. J’espère que ceIe année vous avez pris le temps, comme moi, pendant les Asséreth Yemei Teshouva – les dix jours de repentir – entre Rosh Hashana et Yom Kippour, pour demander pardon à tout un chacun des fautes que nous avons commises envers eux, à vous demander pardon et peut-être aussi demander pardon à dieu.
Peut-être, à ce moment de la journée, pensez-vous aussi à ce que vous n’avez pas réussi à pardonner ? Peut-être, pensez-vous à ce travail de Techouva, à ces réponses, que vous n’avez pas encore trouvées.
Ce matin, nous avons lu un passage du chapitre 19 du Lévitique, « Quand un étranger résidera avec toi dans votre pays, vous ne le molesterez pas. L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un concitoyen et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Egypte. »
Comment ces mots, ceIe phrase peuvent puiser leur sens dans notre vie quotidienne ? Quand on lit « L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un concitoyen et tu l’aimeras comme toi-même » cela semble évident. Et pourtant, combien de fois sommes-nous étrangers les uns pour les autres ? Incapables d’aimer comme soi-même, et incapables de faire preuve d’humilité, de tolérance et d’ouverture vers ces personnes dont nous ne sommes pas familières.
Si l’on regarde en soi et autour de soi, parfois l’étranger, le non-familier, est celui ou celle qui partage notre bureau, nos cours de sports, de musique, notre maison, notre âme.
Car s’il est facile d’envisager que la différence puisse venir d’ailleurs, il est plus complexe de regarder comment la différence vient prendre sa place avec les autres, ces autres de notre quotidien, l’autre qui réside en soi et que cet autre précisément nous permettra de nous voir par un subtil jeu de miroir.
Dans le cadre de ma formation rabbinique, j’ai décidé de compléter son volet pastoral avec une formation en analyse transactionnelle. Je ne vais pas vous faire un cours, ne vous inquiétez pas…laissez-moi pour autant vous expliquer simplement ce que c’est. L’Analyse Transactionnelle a été créée par le psychiatre canado-américain Éric Berne. C’est un concept selon lequel notre manière de communiquer est influencée par la manière dont nous nous posons face à notre interlocuteur. Elle considère qu’il y a 3 facettes de la personnalité d’un individu, du « moi », qui vont conditionner notre manière de communiquer:
1. L’Enfant: il représente nos ressentis
2. Le Parent: il représente nos comportements critiques, notre morale
3. L’Adulte: il représente nos décisions et nos analyses
L’Analyse Transactionnelle est une approche qui a pour but d’identiier la facette du « moi » qui est impliquée dans les relations problématiques, et ce pour les 2 personnes qui interagissent. Une fois ceIe étape réalisée, l’idée est de trouver quelle facette est la plus adaptée pour intéragir dans un contexte précis pour améliorer la communication et dissiper les conflits.
Entre Roch Hachana et Yom Kippour, j’ai passé deux jours en séminaire intensif mais obligatoire pour poursuivre mon cursus. J’étais très contrariée qu’il ait lieu « à ce moment » car je savais déjà à quel point la période des fêtes de Tishri est dense pour l’élève rabbin que je suis. La pression est forte, le travail particulièrement important.
Je n’avais pas le choix. Je devais passer ce séminaire pour continuer ma formation. Je pense que vous savez tous ici ce que c’est que d’avoir des obligations.
Dans un des exercices que nous avons réalisé, nous avons dû en groupe, nous sommes une vingtaine à étudier ensemble depuis un an, passer 4h devant deux formateurs qui n’avaient pas le droit de parler, et nous avions l’obligation de seulement dire ce que nous pensions ou ressenttons « ici et maintenant ».
Je dois vous dire que j’ai déjà fait cet exercice, et je ne l’aime pas vraiment. Je le crains même, car je sais que ce moment de silence partagé, pousse en général les membres de l’exercice à se recréer leur propre cadre, à transférer leur situation sur les autres membres… et cela peut parfois être assez déroutant, presque violent.
Elie Wiesel, à qui on demandait « Existe-il un silence dans le Judaïsme ? » avait répondu « le Judaïsme est plein de silences… mais nous n’en parlons pas. »
Je crois que dans l’exercice dont je vous parle, comme dans les moments que nous passons à prier ensemble, sans se parler, le silence devient un véritable médium. Un intermédiaire permettant d’accéder à un contenu de savoir. Ce savoir est en nous, prêt à être écouté, prêt à être entendu.
Durant cet exercice, j’ai beaucoup pensé à Yom Kippour qui arrivait, aux personnes à qui je voulais demander pardon, à ceIe chance que j’avais de pouvoir me retrouver en silence avec mes autres collègues avec lesquels j’ai beaucoup de plaisir à apprendre sur les êtres humains et leur fonctionnement. J’ai pensé que ce sentiment est très proche de celui que je ressens avec ma communauté, cette sensation d’être parfaitement ensemble et en même temps parfaitement unique, ceIe sensation que j’ai aussi pu ressentir avec vous grâce au merveilleux accueil que vous me faites au GIL.
Durant cet exercice, une des personnes avec lesquelles je m’entends particulièrement bien était contrariée par le manque de cadre.
Critique, elle est restée entièrement en silence durant la moiLé de l’exercice.
Absente, elle m’a tout d’abord inquiétée et semblé jugeante. Nous discutions tous, plus ou moins spontanément… le temps et la spontanéité prennent alors tout leur sens dans ce genre de moments… et je vous assure que cet exercice est particulièrement intimidant.
A la moitié de l’exercice, j’ai craqué.
Je me sentais rejetée par elle, par son silence, je l’ai donc, avec un tact plutôt manquant, interpelée pour lui demander pourquoi elle refusait à ce point d’être avec nous, de faire groupe et pourquoi elle se mettait à l’écart de nous. Etions-nous pas assez bien pour elle ? Notre cadre n’était-il pas assez précis pour qu’elle puisse parLciper ? Il est clair que derrière ce nous, il s’agissait de moi, pourquoi était-elle loin d’un échange avec moi.
Dans mon mal-être, celui d’être rejetée, qu’elle nous trouve enfin qu’elle me trouve, pas assez professionnelle pour elle, j’ai finalement céder à l’attaque. Je n’ai pas appliqué comme nous l’avons lu ce matin « Quand un étranger résidera avec toi dans votre pays, vous ne le molesterez pas. »
Je vous rassure tout de suite, je ne l’ai évidement pas touchée, mais clairement, j’ai manqué de tact.
Nous sommes à Yom Kippour, et quand bien même, il est évident que mon intention n’était pas de la blesser…J’ai tout de suite demandé pardon à ceIe personne quand j’ai compris ce que j’avais provoqué. Bien que mon acLon ait réveillé en elle quelque chose de particulièrement difficile, elle m’a plus tard remercié d’être allée vers elle justement pour lui confronter ma réalité avec la sienne.
Parfois se protéger c’est aller vers son inconfort, vers ce qui nous fait mal.
On regarde en face notre douleur et on la traite. Alors, on est enfin, véritablement protégé. La douleur peut être invisible pourtant pas moins aigüe, électrique, diffuse ou comme un bleu, très visible et pourtant seulement douloureuse lorsqu’on appuie dessus.
Le pardon est un pouvoir, c’est une acLon, il permet de rejouer les cartes, de redéfinir une situaLon, un échange, c’est l’espoir d’un nouveau moment, d’une nouvelle relation, le premier pas vers l’autre, vers l’avenir. Parfois lorsque l’on se pardonne, c’est aussi un premier pas vers nous même.
Il y a bien sûr les pardons ordinaires, et puis il y a les pardons extraordinaires, ceux que nous avons tant de mal à concéder, après avoir été blessés au plus profond de nous-mêmes. Pardonner à un parent bourreau, à un agresseur ou au chauffard qui a renversé l’un de nos proches implique un cheminement intérieur long et exigeant, difficile à vouloir, dur à parcourir.
Pardonner c’est aller vers l’autre, c’est aussi se séparer. Se séparer d’un avant pour aller vers autre chose, pour construire ou reconstruire.
J’ai voulu partagé avec vous ceIe histoire car elle incarne pour moi la difficulté que l’on peut avoir à être en cohérence avec soi-même. Lorsque nous ressentons le besoin de pardonner c’est qu’à un moment la communication a été mal faite. Pourquoi cela ? Est-ce l’étranger en moi ? Ou l’autre ? Ou les deux personnes concernées ? Pensons en humilité à cela. Prenons le silence nécessaire.
Au moment où nous devons nous considérer prêts à repartir à zéro, débarrassés de nos fautes. Je voudrais juste vous demander de penser à la facilité que nous avons à penser que la faute vient de l’autre, la force et le pouvoir que nous avons en nous pour nous rencontrer nous-même, nous rencontrer les uns les autres. Le pardon est un outil fondamental que nous offre le judaïsme pour mieux appréhender notre vie, nous guider et tendre vers la possibilité d’être une meilleure personne, de participer à un meilleur monde, à un monde réparé.
Je voudrais enfin terminer ceIe drasha par ceIe citation de Jean de la Fontaine:
« Qui mieux que vous sait vos besoins?
Apprendre à se connaître est le premier des soins…. »
Je vous souhaite à tous de trouver le pardon, d’entendre celui dont vous avez besoin, de trouver l’autre chez vous, l’autre ailleurs, mais surtout de vivre le bonheur avec tous ces autres et le vôtre en paix.
Que votre nom soit inscrit, celui de votre famille, pour une année de douceur, de santé et de paix !
HaLma Tova !